Compte Rendu IdM 11/12
Invité du Mois
"La notation des pays africains : quels enjeux ?"
La dernière conférence de la série IDM en 2011 s’est déroulé le Jeudi 10 novembre 2011 dans les locaux de l’ESCP Europe.
Il portait sur le thème très actuel de la notation des pays africains, au moment où plusieurs d’entre eux font de plus en plus appel aux marchés pour financer leur économie. Pour traiter le sujet l’ABC a eu l’honneur de recevoir les experts que sont :
- Eric PAGET-BLANC, Head of Supranational Ratings chez Fitch Ratings
- Stanislas ZEZE, Managing Director de Bloomfield Investment Corporation, seule agence de notation financière en Afrique francophone
- Guy GWETH, fondateur de Knowdys, cabinet de Conseil en Intelligence Economique spécialisé sur l'Afrique Centrale
COMPTE RENDU
Où en est la notation financière en Afrique ?
Le constat est partagé par nos trois intervenants. A l’exception de l’Afrique du sud et des pays du Maghreb (Maroc et Tunisie), les pays africains font relativement très peu appel à la notation financière pour émettre des obligations sur les marchés, cette émission obligataire sur les marchés financiers étant elle-même peu répandue.
Cependant la tendance actuelle est une ouverture accrue aux marchés et à la notation, condition sinequanone à l’accession à ces marchés (qui est quasiment son corollaire). Ainsi de nouveaux Etats comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Ghana ou encore le Botswana ont récemment lancé, avec un succès notable, des emprunts obligataires de grande envergure. S. Zeze nous rappelle que déjà en 2000, avant les grands mouvements de cette année, les discussions avaient débuté entre les pays de l’Afrique de l’Ouest pour établir une notation financière à chaque émetteur de dette afin d’aider les acteurs dans la fluidification du financement de l’économie.
E. Paget-Blanc note aussi que la majorité des pays Africains s’étant livré à l’exercice se trouve dans la catégorie dite « spéculative ».
Qu’est-ce qui explique cette situation ?
Traditionnellement les Etats africains empruntaient auprès des organismes de développement telles que les institutions de Bretton Woods, avec les contraintes qu’elles font peser, ou auprès des Etats occidentaux. Soupesant ces contraintes avec la crise sévissant, les pays voient de plus en plus un intérêt à solliciter le marché international, et pour ce faire, à faire appel à la notation financière.
Il ne faut pas en déduire à la hâte que, les marchés internationaux auraient une confiance infaillible aux économies africaines. Bien que les récentes opérations aient eu un franc succès, il n’en demeure pas moins que ces pays sont dans la catégorie spéculative, exigeant des taux d’intérêt assez élevés pour couvrir le risque de défaut des pays, quand ceux-ci viennent faire appel aux marchés. Cela est essentiellement dû aux problèmes structurels des économies africaines (forte dépendance aux exportations de matières premières, faiblesse des économies,…) mais aussi à la mauvaise gouvernance et à l’instabilité politique, qui sont des critères qualitatifs entrant en compte dans la notation des pays, nous explique E. Paget-Blanc.
Autre constat amer, la notation n’enthousiasme pas beaucoup de pays parce que ceux-ci n’aiment pas la transparence, souligne S. Zeze.
Aussi la notation se fait-elle dans ces cas de figure, en devises étrangères, en dollars américains le plus souvent. Or, on sait qu’à l’exception du Bostwana, les banques des Etats africains ont un niveau de devise assez bas sur 5 mois. Ce qui tend aussi à participer à la faiblesse de la note octroyée, tient à nous rappeler le directeur de Bloomfield Investment Corporation.
Quel est l’intérêt pour les pays ou les acteurs économiques africains d’être notés ?
L’intérêt est double, soutient S. Zeze. D’abord, en s’octroyant la possibilité d’émettre des obligations auxquelles les investisseurs vont souscrire sur le marché, la dépendance accrue à nos partenaires traditionnels s’estompe peu à peu. Aussi n’étant plus obligés d’immobiliser des garanties à hauteur du montant de l’emprunt, le plus souvent, les pays pourront détenir assez de liquidité pour investir, avec un taux de l’emprunt qui peut être parfois plus faible sur le marché.
Ensuite localement, la notation financière peut permettre aussi bien aux collectivités qu’aux entreprises et autres acteurs économiques d’accéder au marché du crédit. L’évaluation de la probabilité de défaut de l’emprunteur (note financière) étant un critère objectif sur lequel se basent les acteurs économiques pour faire leurs choix d’investissement. La notation financière permettrait donc aux PME de se financer et encouragerait l’investissement et l’innovation pour une forte croissance économique, préalable au développement.
Quelles perspectives pour la notation financière en Afrique ?
Les trois intervenants pensent que la notation dans les pays africains est une réalité qui va prendre de l’ampleur avec le temps.
Cependant des risques existent pour les agences de notation locales à l’instar de la concurrence exacerbée des agences de notation multinationales pour conquérir le marché africain. Guy Gweth, expert en intelligence économique, par une analyse comparative trouve de grandes similitudes entre les trois grandes agences de notation que sont Fitch Rating, Moody’s et Standard and Poor’s avec les « Big Four » des cabinets d’audit et de conseil qui ont fini par gagner le marché local. Cela ne semble pas inquiéter S. Zeze qui estime que les agences de notation africaines n’ont aucun complexe à nourrir.
Pouvons-nous craindre de passer des contraintes d’institutions identifiables à celles d’un marché incertain, qui fait actuellement vaciller toute l’Europe ? Telle est la question que beaucoup d’entre nous se posent. L’exemple grec pourrait-il nous enseigner à nous méfier et à être prudent ? Car l’aventure n’est pas sans risque.
Mamadou NDAO