IDM 15 mai 2012

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Pourquoi l'Afrique francophone décroche par rapport à l'Afrique anglophone?

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Le 15 Mai dernier, l’African Business Club a organisé en partenariat avec Teranga Web une conférence portant sur le thème : « Pourquoi l'Afrique francophone décroche-t-elle par rapport à l'Afrique anglophone? ».

Le panel d’invités a réuni des intervenants aux profils diversifiés :

  • Barthélémy FAYE, Avocat Associé au sein du Cabinet Cleary Gottlieb et Expert en financement de projets en Afrique
  • Denis COGNEAU, Économiste du développement à l'École d'Économie de Paris et à l'Institut de Recherche pour le Développement
  • Olatunji AKINWUNMI, Responsable du Développement de nouveaux projets chez Total

Le débat visait à proposer une grille d’analyse permettant d’expliquer les différences de performance économique entre les pays d’Afrique francophone et leurs homologues anglophones. L’exercice s’est avéré assez complexe.

Il est important d’éviter la caricature

« Le découpage du sujet me semble assez caricatural. Assimiler francophone et décrochage, par opposition à anglophone et décollage, me parait simpliste ». C’est ainsi que Barthélémy Faye a débuté son intervention. Même si les principaux indicateurs attestent des disparités entre pays africains et pays anglophones, en termes de croissance et de développement humain notamment,  l’avocat a mis l’accent sur la nécessité d’établir un prisme d’analyse multidimensionnel de ce constat. Sur la base de son expérience de juriste, Barthélémy Faye a ainsi intégré le droit et le comportement du législateur aux critères permettant d’analyser les différences de performance. « Plus pragmatique, car basé sur l’empirisme, le droit anglo-saxon est plus dynamique. Plus rigide, le droit civil sacralise le législateur. En résulte un rôle plus ou moins actif de la puissance publique dans le soutien à l’activité économique » a-t-il indiqué.

Denis Cogneau a inscrit son propos dans la lignée de celui de Monsieur Faye. Plutôt que d’opposer anglophone et francophone, « il faut comparer ce qui est comparable. » La position géographique (pays enclavés versus pays à façade maritime), la dotation en matières premières et la stabilité politique figurent parmi les critères à intégrer au référentiel de comparaison des pays africains, en plus des indicateurs classiques tels que le taux de croissance, l’espérance de vie à la naissance ou encore l’IDH.

Olatunji Akinwunmi a quant à lui souligné le poids non négligeable de l’économie informelle qu’il juge d’ailleurs plus importante dans les pays anglophones.

Le présent porte la marque du passé

Cette affirmation fait l’unanimité chez les trois intervenants : les différences héritées de la colonisation constituent des facteurs structurels qui différencient pays anglophones et pays francophones. Denis Cogneau établit trois critères différenciant : le système d’administration coloniale, la politique d’éducation ainsi que le lien « néo-colonial ». Direct rule versus Indirect rule, système éducatif élitiste versus système d’éducation massive, liens commerciaux quasi exclusifs versus liens commerciaux plus diversifiés… autant de caractéristiques qui distinguent anciennes colonies françaises et anglaises. Les anciennes colonies françaises ont maintenu des liens économiques très forts avec la France. « Le pays  représente ainsi 45% des exportations des pays de l’OCDE à destination de l’Afrique. » précise Olatunji Akinwunmi.

La persistance de ces liens se manifeste également dans le domaine du droit. L’arsenal juridique français constitue l’étalon de référence des pays d’Afrique francophone. Or, l’évolutivité des outils juridiques ainsi que leur adéquation avec le contexte africain ne sont pas assurés. D’après Barthélémy Faye, un tel mode de fonctionnement limite la capacité de l’état à s’illustrer comme un acteur économique responsable.

L’héritage linguistique lié à la colonisation ne doit pas être éludé. Olatunji Akinwunmi insiste sur la nécessité des pays francophones de s’ouvrir par la pratique de l’anglais : le français est l’unique langue officielle dans 15 pays dans le monde, dont 13 en Afrique. Or, « l’anglais est la langue des affaires » rappelle-t-il.

A travers son analyse comparative du Ghana et de la Côte d’Ivoire  Denis Cogneau a démontré que la trajectoire de croissance des pays n’est ni figée, ni unilatérale. « Le passé n’est pas une fatalité » a-t-il insisté. Au sortir de l’indépendance, on a assisté à un phénomène de rattrapage des pays francophones.

Il faut adopter une approche « best practice »

Afin d’inscrire l’ensemble du continent dans une dynamique de croissance, les intervenants proposent sortir de la dualité francophone versus anglophone. Plutôt que de se focaliser sur ce qui explique les disparités en termes de performances, ils proposent une approche « best practice » : appliquer chez soi les recettes ayant porté leurs fruits chez les autres. Les pays africains doivent collaborer, communiquer et échanger afin de partager les recettes de leurs succès individuels. Priorité : « établir les bases d’un environnement propice au développement économique ».

Barthélémy Faye et  Olatunji Akinwunmi estiment que les pays francophones doivent accentuer le rôle « d’agent économiquement responsable » de l’Etat. Une telle démarche passe notamment par le renforcement des partenariats public-privé et la recherche de flexibilité dans les superstructures étatiques. Denis Cogneau considère quant à lui que l’avènement d’institutions démocratiques pérennes apparait comme un préalable nécessaire au développement économique.

Les trois intervenants s’accordent enfin sur la multitude des défis que l’Afrique doit relever, notamment : la gestion de l’appétence des pays émergents pour les matières premières, la conquête de la souveraineté monétaire, la visibilité au sein des instances internationales, le retour des cerveaux ou encore l’implication de la diaspora.

Au terme de cette rencontre nous retiendrons que l’opposition entre anglophones et  francophones ne suffit pas à expliquer les disparités de performances économiques sur le continent. Il semble plus pertinent d’opter pour une approche multicritères permettant de rapprocher les performances économiques d’un pays d’une combinaison de facteurs favorables (facteurs tant structurels que conjoncturels). Plutôt que de chercher à expliquer les écarts, les intervenants proposent d’inscrire l’ensemble du continent dans une perspective de croissance soutenue. Une telle démarche repose sur une approche « best practice ». Les pays africains doivent s’inspirer mutuellement : identifier les pratiques et initiatives ayant soutenu la croissance chez les uns, les adapter afin de les appliquer chez les autres.

 

Mélissa ETOKE EYAYE