IDM de Novembre 2010
L’industrie pharmaceutique en Afrique
Pour la deuxième conférence de la série « l’Invité Du Mois » qui s’est tenue le 26 novembre dernier dans les locaux de l’Université Paris Dauphine, l’African Business Club et Dauphine Alumni Afrique, deux associations visant à promouvoir le développement de l’Afrique, ont choisi de réunir des experts de l’industrie pharmaceutique pour discuter sur le thème : « Enjeux et Perspectives de l’Industrie Pharmaceutique en Afrique ».
Comme personnes invitées pour animer cet échange, nous avions :
- Dominique Perrot, Global Key Account Manager chez IMS HEALTH (Leader mondial des études et du conseil pour les industries du médicament et acteurs de la santé).
- Célestin Tawamba, PDG de CADYST-INVEST : Holding détenant CINPHARM (entreprise camerounaise spécialisée dans la fabrication de médicaments génériques).
- Guy-Bertrand Njambong, Technical Sales Manager chez Unipex Solutions (Leader dans la distribution de spécialités chimiques et d’ingrédients actifs innovants pour la pharmacie).
Le débat a été modéré par Michael Pauron, journaliste chez Jeune Afrique et nous tenons à nous excuser de l’absence de François Bompard, Vice-président Deputy Head & Medical Director chez Sanofi Aventis, qui avait été annoncé et finalement empêché à la dernière minute.
Dominique Perrot a d’entrée de jeu présenté le marché l’industrie pharmaceutique en Afrique. Nous retiendrons que le marché africain actuel représente 1,7% des $800 milliards de Chiffre d’Affaires mondial (soit $14 milliards) alors que les Etats Unis, l’Europe et le Japon à eux trois représentent les 3/4 du marché mondial.
Il nous apprend que la croissance mondiale, d’environ 6%, n’est pas tout à fait homogène. Le marché ayant la plus forte croissance est celui de la Chine avec 17%, suivi de celui de l’Afrique autour de 9% et 4% pour ceux des Etats Unis et de l’Europe. Les 5 pays qui dominent ce marché en Afrique sont l’Afrique du Sud (avec $3 milliards de CA, correspondant à 55% du marché africain), l’Egypte, l’Algérie, le Maroc et le Nigéria (avec un CA de $1 milliards)
En analysant le niveau de dépenses de santé par habitant par an des Etats Unis ($1000), l’Europe et le Japon ($500), le Brésil ($100), l’Afrique du Sud ($60), et l’Afrique du Nord ($40), il met l’accent sur les disparités que l’on observe au niveau du pouvoir d’achat des uns et des autres, et souligne donc la nécessité pour les acteurs opérant sur le marché africain de pouvoir offrir un portefeuille de produits adéquats : des produits aux prix abordables et qui répondent aux besoins en médicament du continent Africain.
A la suite de Dominique Perrot, le modérateur a passé la parole à Célestin Tawamba, actionnaire majoritaire dans le capital de la plus grande entreprise fabricant des médicaments dans la sous région Afrique Centrale. Il a démarré son propos en faisant le constat affligeant suivant : « les maladies sont présentes en Afrique comme partout dans le monde, mais les solutions se trouvent ailleurs ». Ce constat est justifié par le fait que 90% des médicaments consommés par les populations de la sous région Afrique Centrale sont importés des pays occidentaux et seul 1% est produit localement.
Il avance que « L’industrialisation pharmaceutique en Afrique est un leurre ». Il explique ceci par :
- L’absence d’infrastructures pouvant favoriser la recherche fondamentale dans le domaine pharmaceutique en Afrique ;
- L’absence de vision politique spécifique à cette industrie ;
- Le manque de moyens financiers investis dans le domaine (l’absence totale de ligne budgétaire consacrée à la Recherche & Développement dans les finances publiques ;
- L’absence de mesures incitatives favorisant l’implantation de laboratoires pharmaceutiques destinés à fabriquer et commercialiser sur le plan local, ce type de produit.
Comme solutions à ce problème d’industrialisation pharmaceutique en Afrique, il préconise que les Africains se prennent en main ; c'est-à-dire que chacun accepte de jouer pleinement son rôle :
- Les gouvernements doivent mettre en place un environnement des affaires qui puisse favoriser l’émergence de structures locales proposant des produits accessibles (prix) tout en respectant les normes internationales (hors de question de tropicaliser les médicaments).
- Ensuite, des structures et des foyers voués à la recherche doivent être créés et subventionnés afin de rechercher et de proposer des solutions proches des besoins des populations locales
- Enfin, les opérateurs économiques doivent s’intéresser plus particulièrement à ce secteur.
Appliquant la 3ème des solutions qu’il préconise, Célestin Tawamba a décidé de créer un laboratoire pharmaceutique de référence. Aligné sur les normes internationales, cette structure comprend : 3 unités de fabrication distinctes et 2 laboratoires de contrôle de la qualité. Ce laboratoire de € 17 millions de capital, emploie 300 personnes et dispose d’importantes capacités de production : 1 milliard de comprimés, 150 millions de gélules et 10 millions de solutés massifs produits depuis le début de cette année.
L’objectif de sa structure à l’horizon 2011 est de pouvoir couvrir 20% de la demande du marché de la sous région Afrique Centrale. Pour y arriver, il entend produire 60 des 360 gammes de produits aujourd’hui importés.
Guy-Bertrand Njambong, notre 3ème intervenant, a choisi de nous parler d’un problème sérieux qui mine cette industrie en Afrique. Il s’agit des filières de « pharmacie gazon » qui proposent des produits médicamentaires de très mauvaise qualité aux populations. On a donc observé des populations mourir sur l’étendue du continent après consommation des produits toxiques fabriqués localement selon des processus non conformes aux normes internationales.
Pour résoudre ce problème, il appelle à une fédération des efforts individuels en vue de créer des laboratoires et structures assurant le contrôle de la qualité des produits pharmaceutiques, pas seulement au sein des pays du continent, mais aussi sous régional ou régional. Il exhorte également à la création d’un cadre réglementaire destiné à limiter la circulation des médicaments de mauvaise qualité.
Il a également présenté les spécificités des pays comme l’Algérie et le Maroc où des efforts au niveau des politiques nationales sont faits pour favoriser la création et le développement d’unités de production au niveau local. Au Maroc, la valeur ajoutée produite dans le pays a connu une telle croissance qu’aujourd’hui ils offrent des produits de qualité internationale et commencent à exporter leurs produits dans les pays environnants. Ils y sont parvenus en s’approvisionnant en Asie principalement à des coûts plus faibles que ceux pratiqués en Europe ou aux Etats Unis.
Lors de la série des questions réponses, nos intervenants ont précisé certains aspects de leurs présentations mais nous pouvons retenir deux importants points :
- L’énorme potentiel de croissance de l’industrie pharmaceutique en Afrique est dû à une certaine pérennité des produits pharmaceutiques (« quand un médicament est bon aujourd’hui, il le sera aussi demain ») et aussi à une meilleure accessibilité à la production de médicaments génériques dont les coûts sont bien moindres par rapport aux médicaments encore sous licences.
- La nécessité de mise sur pied de politiques gouvernementales visant à créer un environnement des affaires favorisant la création et le développement de structures pérennes dans ce secteur. Mais aussi, la pratique de mesures protectionnistes en vue de protéger les opérateurs locaux face aux opérateurs globaux.