Tribune libre

Conversation cathartique créatrice d’avenir

S’approprier hier pour comprendre aujourd’hui et définir les contours de demain…

A l’heure du village monde, des nouvelles technologies et autres réseaux sociaux, il semble légitime de s’interroger sur les rapports entre mondialisation, identité et culture.


La « globalisation » serait-elle devenue un mode de vie générique, une espèce de nébuleuse dont les composantes constitueraient, dans une certaine mesure, le socle commun de l’expérience humaine?
Plus que jamais au cœur de cette dynamique, la jeunesse établit, de façon quasi automatique (à son insu ?), un nouveau paradigme pour décrire l'ensemble des expériences, croyances et valeurs qui influencent la façon dont elle perçoit désormais la réalité.


Plus de la moitié de la population africaine a moins de 21 ans et les deux tiers moins de 30 ans. Forces vives de pays éternellement « en voie de développement », les « jeunes africains » ont vécu la disparition de l’État-providence et l’essoufflement du modèle socio-éducatif hérité de l’époque coloniale ; le tout sur fond de précarisation extrême des conditions de vie et d’idéalisation du modèle occidental érigé en norme.
Développée dans le contexte de la décolonisation, la notion d’identité culturelle marque la volonté des peuples dits du « tiers monde » de revendiquer leur autonomie face à l’Occident et son universalisme aux relents impérialistes. Ainsi, la décolonisation, qui suppose l’indépendance culturelle, passe par la prise de conscience d’une identité culturelle qui contribue à affranchir les peuples de toute forme de domination.


Le champ de l’analyse ici développée inclura à la « jeunesse africaine » la « jeune diaspora » que nous définirons comme l’ensemble des jeunes africains vivant hors du continent et empreints d’un désir individuel et/ou collectif d’inclure leur héritage culturel dans leurs expériences de vie transnationales.
Né dans un contexte postcolonial, le « jeune africain », qu’il vive à Montréal, Douala, Tunis ou Accra, s’inscrit alors dans une dynamique dont l’objectif est triple : réussir à construire une identité culturelle i) empreinte du passé, ii) inscrite dans le présent et iii) tournée vers l’avenir. 
Reposant sur ce tryptique, l’identité culturelle trouve son origine dans le passé qui fournit au jeune un héritage culturel transmis au fil des générations. Loin d’être borné dans le temps, ce passé acquiert une dimension atemporelle que lui confèrent des éléments structurants tels que l’histoire, la préservation d’us et coutumes ou encore la maitrise d’un dialecte. Aujourd’hui s’approprie hier, présent et passé s’imbriquent.


Dans un environnement marqué à la fois par de nouvelles formes d'échange, d'interdépendance et de différenciation entre les cultures et par certaines formes de globalisation des modes de vie et de pensée, l’évolution de l’identité culturelle dans ses transformations et son invariance prend une actualité particulière.
Ainsi, l’identité culturelle du jeune africain s’inscrit résolument dans le présent, dans le sens où elle s’enrichit d’apports contemporains d’ordre socio-économique, démographique, technologiques voire politiques.Il singularise son héritage culturel en l’enrichissant de multiples influences contemporaines. Développé en Afrique du Sud au début des années 1990, le kwaito incarne cette dynamique. Style musical né à Soweto, le kwaito montre en effet comment les jeunes mélangent passé et présent afin d’enrichir leur identité culturelle. Il s’agit à l’origine d’un style musical qui allie influencent rythmes traditionnels sud-africains et influences « house ». Mais dans un contexte marqué par l’apartheid, la portée du mouvement a très vite dépassé le cadre musical, érigeant le kwaito au rang de véritable contre-culture. Le kwaito s’établit dans l’identité culturelle et devient un mode de vie.


La force de l’identité culturelle à se tourner vers l’avenir réside dans son aptitude à se renouveler, en intégrant de nouvelles influences sans pour autant disparaitre. Un élément non négligeable caractérise aujourd’hui cette ouverture vers le futur : l’avènement d’un modèle d’implication du jeune dans le devenir de l’Afrique. Résolument orientée vers le futur, cette dynamique s’illustre notamment par l’auto-conscientisation de la jeunesse à travers des initiatives qui visent à définir son rôle dans la construction de l’Afrique future. Cette «Afrique future » nous projette à un horizon indéterminé, mais renvoie avant tout à la notion de legs : quelle Afrique laisserons-nous aux générations qui nous succèderont ?


Cette démarche débute par l’appropriation du passé via la découverte de figures telles que Cheick Anta Diop, Thomas Sankara, Frantz Fanon ou encore Aimé Césaire, et se concrétise par la multiplication de projets individuels ou collectifs. On ne compte plus le nombre de mouvements, associations, forums ou think tank dont les actions et réflexions œuvrent pour la responsabilisation des jeunes africains quant à leur rôle dans le devenir du continent ; cette responsabilisation constituant l’ouverture même de leur identité culturelle sur le futur.


Tous, à l’image de Samba Diallo dans « L’aventure ambigüe » de Cheick Hamidou Kane, s’engagent dans un itinéraire spirituel visant à déterminer les contours d’une identité dynamique, processus source de confusion.
L’évolution de l’identité culturelle présuppose la conscience et l’appropriation de leur univers par les jeunes africains. Ce processus nait d’un mélange subtil de rejet-attraction pour l’univers culturel de référence, relation conflictuelle inlassablement exacerbée par la dissonance entre tradition et modernité, le désir de découvrir et la crainte de trahir.

Loin d’être nihiliste ou masochiste, cet écartèlement contribue au déploiement constant d’une psyché identitaire. Règne d’un chaos reconstructeur, le présent remémorateur permet au jeune africain de s’approprier hier pour comprendre aujourd’hui et définir les contours de demain.
Son « aventure ambigüe » débouche sur une réflexion universelle : l'angoisse d'être homme.

 

Mélissa Etoke Eyaye