Interview
Loic Dablé: "Il faut valoriser l'art culinaire africain"
Publié le 11/11/2013
Entretien avec Loic Dablé, chef cuisinier africain. Il nous présente sa vision et son ambition pour la gastronomie africaine.
Comment vous est venue l’envie de pratiquer ce métier ?
Dès la classe de 3ème, je me suis intéressé à la cuisine. J'ai eu très tôt un feeling pour cet art car j’aimais le contact avec les aliments.
Comment définiriez-vous la cuisine « Afrofusion » ?
Cette cuisine là est caractéristique de ma personnalité et de ma vision des choses, c’est à dire une cuisine métisse avec une grosse touche africaine.
Quelles sont vos inspirations ? D’où vous vient l’idée de vos recettes ? Où peut-on les retrouver ?
L'inspiration me vient de mon enfance, mes voyages, mes expériences, des personnes qui m'entourent. Elle vient de tout cela à la fois. On peut retrouver mes recettes sur mon site internet, sur le site Africa N1, en participant à mes cours de cuisine après lesquels j’envoie les recettes par mail et bientôt dans mon livre "Ma cuisine fusion" qui sortira au mois de Décembre.
Quels sont les plats ou recettes dont vous êtes le plus fier ?
La recette dont je suis le plus fier c'est la Panacotta d'igname avec le saumon mi-cuit mi-cru. J'ai pris du temps pour la mettre au point. Le bon dosage par rapport à la gélatine a été très difficile à trouver.
Il y a 2 ans vous étiez jury dans l’émission de télé réalité africaine Star chef. Que vous a apporté personnellement et professionnellement cette expérience ? Quelle portée peut- on attribuer à ce type de manifestation pour la promotion de l’art culinaire africain ?
Professionnellement ça a été un accélérateur de carrière de 10 ans environ. Que ce soit au niveau de la communication, des rencontres sur le continent ainsi qu’ici en France ou encore en terme de la crédibilité. D’ailleurs on prépare une nouvelle saison pour 2014. Avec Star Chef on a essayé de retrouver cet esprit « Africa United » dans le fait de mélanger les cultures, les épices, les pays, dans une ambiance bonne enfant. On a eu des retours de toute l'Afrique, tout le monde commente, discute et échange. On est autour de quelque chose qui fédère : c'est la cuisine. C’est super!
En plus de votre casquette de chef, vous êtes consultant pour les hôteliers et restaurateurs dans la définition de l’identité culinaire de leurs établissements africains. Qu’est-ce que cela signifie ? Que revêt cette identité africaine ?
Pour moi, c'était logique de faire du conseil pour les hôtels en Afrique. Bien qu’il y ait une logique économique derrière, je voulais apporter de moi dans ces hôtels et restaurants. Je ne peux en effet pas concevoir qu’il soit plus courant de proposer sur une carte des ces établissements, des escalopes à la crème ou encore des soles meunières alors que ces spécialités n’évoquent en rien la cuisine africaine. Il y a un savoir faire technique qui reste à maîtriser. Ma démarche est donc de décomplexer les patrons de restaurants et les directeurs d'hôtels en leur présentant les produits locaux qui sont tout autant gastronomiques.
Sur quels projets avez-vous travaillé en Afrique ?
J'ai commencé en Côte d'Ivoire avec l'Hôtel Particulier, hôtel haut gamme. Nous avons mis en place un standing et j'y ai réalisé la carte. De même, au Togo dans un petit restaurant, au Cameroun à la Tanza ou encore au Gabon avec l'hôtel l'Hibiscus, ma mission consistait à mettre un standing en place, apporter une expertise et surtout apprendre aux gens à travailler les produits locaux avec une technicité beaucoup plus poussée.
Quel regard portez-vous sur la cuisine africaine ? Pensez-vous qu’elle puisse être un moyen de valoriser le potentiel du continent africain ? Comment ce secteur peut-il participer à la mise en avant de l’Afrique ?
En Afrique de manière générale, on mange entre 5 à 6 fois par jour, ce qui représente une véritable opportunité de développement des secteurs économiques tels que le tourisme ou l’agribusiness. En effet on mange quoi qu'il arrive. Par ailleurs, nous disposons d'un patrimoine incroyable d'épices, de légumineuses qui ne sont pas mis en valeur. J'aimerais qu'au même titre que la gastronomie française, la gastronomie africaine soit reconnue par l'Unesco. J’espère d’ailleurs que l'ABC m'accompagnera dans cette démarche. En d’autres termes quand on n’aura plus honte de notre gastronomie qui est un véritable patrimoine, on pourra la valoriser. Mais il y a un gros travail à réaliser pour changer la mentalité des africains et en particulier des directeurs d'hôtels et restaurateurs sur notre cuisine en leur faisant comprendre l'avantage que l'on peut tirer d'avoir l'avis d’un consultant qui apporte un réelle expertise. Ainsi, pour conclure, lorsque l'on aura dépassé un certain nombre de préjugés trop prédominants sur la culture gastronomique africaine, on pourra alors monter en gamme et prétendre un jour avoir une première étoile dans un restaurant africain. En tout cas, moi je l'aurai d'ici 2 ou 3 ans.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune désireux d’entreprendre dans le secteur de la restauration ? Selon vous quelles sont les opportunités sur ce marché ?
Il faut prendre des risques, du moins c’est l’approche du groupe Loic Dablé. Nous prenons des risques au quotidien. Notre cuisine est différente, avec une identité forte. On est sur un créneau où nous avons un boulevard devant nous, mais dontl’accès est en même temps assez particulier. Il ne faut pas avoir peur de se lancer et puis surtout ne pas écouter les gens et les institutions qui vous découragent très facilement. Donc, allez jusqu'au bout de votre projet et surtout soyez très sérieux et persévérant. Sur ce marché, il y a beaucoup d’hôtels qui ouvrent en Afrique, que ce soit au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Gabon, au Bénin. Ce sont des opportunités à saisir. Les perspectives dans ce métier à l’heure actuelle sont à créer soit même. En effet, la culture africaine n’est pas à la valorisation de sa gastronomie. C'est dû à un manque d'ouverture. En France par exemple, on propose une tonne d'émissions de cuisine lorsqu’en Afrique nous n’avons que Star Chef et les petites émissions sur les petites chaines africaines. On ne valorise pas notre art culinaire. C’est dommage.
Quels seront vos projets les mois à venir ?
Il y a la parution de mon premier livre de cuisine "Ma cuisine fusion" prévu pour le mois de Décembre. On développe toute la partie cuisine à domicile, cours de cuisine. On a lancé les ateliers Loic Dablé qui sont destinés aux particuliers et aux professionnels. On a également la partie conseil au Nigéria et au Gabon. Pour le Nigéria il s'agit d’un concept store où il y aura un restaurant haut de gamme. Il me semble que ce sera le 1er en Afrique. Le projet est bien avancé. Enfin, on s'investit aussi dans le social. Cela me tenait à cœur. On collabore avec une association sur l'Ile St Denis. On accompagne les personnes en réinsertion : des repris de justice, des femmes de plus de 50 ans, des personnes handicapées, ont les aide à se réinsérer dans la société par le biais de la restauration.
Pour finir, un mot pour votre partenariat avec l’African Business Club?
J'ai eu de très belles rencontres, des personnes très intéressantes, ouvertes d'esprit, C'est une très belle initiative pour le continent. Voir des jeunes afropéens se battre pour le continent, pour notre image, c'est juste magique. J'espère que notre partenariat va durer des années. Je suis ravi, enchanté et j'espère ne pas décevoir ceux qui goûteront ma nourriture au cours des différents évènements de l'ABC.
Visiter son site web: http://loicdable.com/