Tribune
Une école d’artisans, des industriels du monde !
Nous avons appris à l’école les mathématiques, la géographie, la philosophie et des disciplines encore plus complexes : je le reconnais, nous savons faire de nombreuses choses ! Et pourtant, le système scolaire en Afrique, produit encore chaque année des milliers de jeunes diplômés, très bien formés qui, malheureusement sont appelés à remplir les bancs des chômeurs. Je fais partie de cette jeunesse africaine désœuvrée, même si je crois encore que ce monde est un monde d’opportunités, un monde où chacun ou chaque entité dispose d’un bien ou d’un service à vendre.
L’Afrique, par contre achète, et achète peut-être un peu trop ! Je regarde ma maison, mon environnement et je pars farfouiller dans les boutiques du coin. Je remarque des choses grandioses, qui ne seront peut-être jamais à la portée de mon intelligence, mais aussi des petites choses, des menus objets de la vie de tous les jours : les stylos, les verres, les règles, les clous, les parapluies, les vêtements, les chaussures, les ampoules, les serrures, les lames, … et mêmes les aiguilles. Autant de choses que nous achetons, mais que nous ne produisons pas ou que nous ne savons pas produire. Et pourquoi ?
Réapprenons à faire des petites choses ! Les systèmes scolaires n’ont eu de cesse de valoriser des métiers d’élite (médecins, magistrats, avocats, comptables…) favorisant et nourrissant une hyper classe de fonctionnaires et d’employés de bureaux, alors que le développement passe nécessairement par la production, et ensuite par l’administration. Les filières techniques au lycée ne sont pas valorisées et les cycles scolaires sont trop longs ; le fameux label « Bac + x » décourage les étudiants des petits métiers, de la petite création et ainsi de la capacité à transformer son environnement. Pourtant la société a besoin d’agriculteurs, de couturiers, de ferrailleurs et de cordonniers (non pas pour réparer les chaussures venues de l’extérieur, mais pour les fabriquer).
Le succès de l’Afrique, à mon sens, pourrait passer par la simplification de la formation : réduire les cycles scolaires ; former les individus à fabriquer des biens et à faire un métier ; apprendre à entreprendre. Une réorientation dans ce sens de 80% de notre système scolaire, c’est-à-dire de 80% des étudiants, serait bénéfique car elle encouragera et professionnalisera la débrouillardise. Elle permettra ainsi de lutter contre le chômage en favorisant l’auto-emploi et en accélérant la participation des jeunes à la vie active.
Qui plus est, les compétences existent et doivent être développées. C’est à dire que l’Afrique doit créer une réelle école de l’artisanat formant des personnes à un métier ou une classe de métiers, à un savoir ou une classe de savoir-faire. La classification peut se faire selon la maîtrise de différentes matières : fer, cuivre, bois, agriculture, élevage, … Il s’agit non pas de spécialiser les individus, mais les rendre conscients de la possibilité de développer des habiletés. Autrement dit, les individus peuvent être des experts dans leur classe de savoir, mais l’école doit aussi leur inculquer cette capacité à vouloir transformer d’autres objets que ceux qu’ils maîtrisent, à rester ouverts, et à être des artisans-entrepreneurs.
La population doit croire à la création, à la transformation de son environnement, à la maîtrise des objets et des procédés. L’école doit s’adapter à cette logique et apprendre aussi aux jeunes à créer et à développer une petite unité artisanale. C’est pourquoi, aux connaissances techniques devra être associée l’acquisition de compétences managériales de base : la gestion des finances et les techniques de ventes.
L’objectif est de créer une horde de Très Petites Entreprises (TPE), particulièrement adaptées aux systèmes de financement traditionnels en Afrique : « les tontines » et la micro-finance. Se faisant alors concurrence, les TPE vont chercher à se développer, encourageant ainsi l’innovation et l’acquisition des compétences à l’intérieur et à l’extérieur du continent. Elles s’absorberont entre elles, et pourront alors s’étendre à leur marché national respectif, ensuite régional et enfin mondial. C’est ainsi que nous deviendrons des industriels du monde !
Toutefois, le chemin vers le développement est encore long. L’émergence d’une classe d’entrepreneurs contribuera peut être à l’épaississement du tissu industriel africain, mais ne supplantera certainement pas les autres maux qui minent l’Afrique et découragent toutes initiatives personnelles. Par ailleurs, est-ce que la TPE sera capable de faire face à la concurrence venue de l’étranger ? Difficilement ! Mais, en toutes circonstances, le développement doit passer par une économie de production. Nous ne devons continuer sur cette tendance de consommation qui n’a fait qu’accentuer le déficit de notre balance commerciale. L’Afrique doit encourager la fabrication des biens par les Africains et pour les Africains, et avoir quelque chose à proposer au monde.
Le succès réside certainement dans la formation : apprenons à faire des choses adaptées à notre environnement et à notre portée ! Comme partout, le bon sens a ses vertus en économie. Il ne serait pas mal venu de nous inspirer de quelques entrepreneurs à succès à l’exemple de Warren Buffet qui, en 2001, disait : « Je peux déjà vous dire que nous avons pris le XXIe siècle à bras-le-corps en investissant dans les métiers d’avant-garde comme la brique, les tapis, l’isolation et la peinture ». Réorienter l’école en Afrique vers la satisfaction de certains besoins plus ou moins primaires serait en juste ligne de cette logique et serait peut-être plus adapté à nos jeunes économies.
Thierry Nkamgnia